Après les galères, Vital N'Simba rêve en grand. Né en Angola, le latéral gauche de Clermont (28 ans) a connu l'inquiétude, l'instabilité et la détresse inhérente à la vie de réfugié. De son enfance en Angola, la fuite de ses parents, son arrivée à Bordeaux et son lien avec le football, qui a fait l'effet d'une bulle autour de lui, il raconte comment ce parcours l'a forgé et poussé à atteindre le destin qu'il s'était imaginé.
Avant de connaître la Ligue 1,vous avez connu un parcours familial et personnel compliqué. Racontez-nous...
Je suis né en Angola où j'ai vécu jusqu'à l'âge de six ans. Mais nous avons dû quitter le pays parce que mon père travaillait pour l'armée dans la garde présidentielle. Un jour, mon père avait une cargaison à sa charge et sa mission était de le remettre à bonne destination mais elle a été volée. Les membres de l'armée ont pensé que c'était mon père qui l'avait volée et il était recherché. On a dû quitter le pays en express, car s'il se faisait attraper, il risquait de se faire tuer. À ce moment-là, je suis le seul enfant de la famille, je sortais dans la rue, je jouais au foot avec mes amis. Je n'avais pas conscience de tout ça.
Comment avez-vous fui l'Angola ?
On a fui en pleine nuit. C'est mon parrain qui est venu nous chercher pour nous emmener à l'aéroport. On est parti très rapidement, car nos vies étaient en danger et on a pris un vol pour Rome, où on a vécu durant quelques semaines. Avec ma famille, on allait d'hôtel en hôtel. On essayait tant bien que mal de se débrouiller.
Comment êtes-vous arrivé en France ?
Mon père a un frère qui vivait à Toulouse, c'est ce qui nous a amené à venir en France. Nous y sommes restés pendant dix mois, à la charge de mon oncle. On était toujours sans-papiers, sans documents et ensuite on dû partir. On a tourné dans pas mal d'hôtels du coin et en même temps, j'allais à l'école pendant que mes parents se débrouillaient pour trouver de l'argent pour que l'on puisse manger et se loger. J'étais loin de comprendre tout ce qu'il se passait et la galère que mes parents vivaient. Je ne parlais pas très bien français à l'époque et j'avais la chance d'aller dans un petit club proche de Toulouse. C'est ce qui m'a permis d'être à distance de cette histoire.
"Mon petit-frère est tombé malade, ça a été un vrai coup de massue"
En tant qu'enfant, comment on vit cette instabilité permanente ?
Cette histoire, je la connais bien mais je n'ai pas vécu toutes les démarches que mes parents ont dû faire pour trouver un foyer ou un logement. J'ai senti tout de même cette inquiétude et cette instabilité puisqu'on changeait d'hôtel tout le temps. Un coup par ci, un coup par là, jusqu'au jour où on a eu la chance d'être accepté dans un foyer dédié aux réfugiés politiques à Villenave d'Ornon (près de Bordeaux).
Une fois installés, les galères ont encore continué ?
On y est resté quatre ans, jusqu'à mes onze ans. Mon petit-frère est né là-bas mais un an plus tard, il est tombé gravement malade, victime d'une méningite. Il est resté pendant des mois dans le coma et en se réveillant, il a perdu toutes ses facultés. Ça a vraiment été un coup de massue pour mes parents et moi. Même si on a connu des galères avant, on arrivait tant bien que mal à s'en sortir mais là, mon petit-frère était en bonne santé et du jour au lendemain, il y a cette maladie qui arrive et on ne sait rien. Pourquoi ? Comment ? Aujourd'hui, il est pris en charge dans un centre spécialisé pour les enfants handicapés. Il n'arrive toujours pas à marcher ni à parler.
Comment vous arrivez à ne pas perdre le fil avec le football ?
Mes parents ont tout fait pour me protéger, de me mettre à l'écart de tous ces soucis avec mon petit-frère. Quand ils allaient à l'hôpital, ils ne m'emmenaient pas par exemple. Ils m'ont vraiment épargné. À côté, heureusement, j'avais le foot et l'école qui me permettaient de m'évader. Le foot, c'était ma bulle.
Tout petit, quel était votre rapport au football ?
Quand j'étais en Angola, je me souviens de la Coupe du monde 98. Je n'avais pas encore 5 ans, j'avais le maillot des Bleus et je connaissais tous les joueurs de l'équipe de France. J'avais dit à ma grand-mère : « un jour, tu me verras à la télé et je jouerai au foot ». Tout petit, je voulais être professionnel. Et ironie du sort, quelques années plus tard, je me retrouve en France à jouer au foot. Cette Coupe du monde, c'est le moment déclic. Je ne pensais qu'au foot. Quand mes parents m'offraient des cadeaux, ça ne m'intéressait pas, je ne voulais jouer qu'au football.
"Quand les Girondins m'ont contacté, je ne savais pas que c'était un grand club"
À partir de quand, comprenez-vous que vous avez peut-être quelque chose à faire dans le foot ?
Lorsque j'étais en poussin, les Girondins ont contacté mon club de Villenave d'Orson pour que j'intègre les sections de jeunes. Je ne savais pas que c'était un grand club et ce que cela représentait. J'étais bien dans mon club, à côté de mon foyer, donc je me suis dit que j'étais bien où j'étais. Et puis Bordeaux, c'était à 40 minutes et on n'avait pas de voiture. Après les années sont passées, j'ai fait un tournoi avec eux à 14 ans mais je n'ai pas été pris, car il n'y avait plus de place en préformation. Ils ont continué à m'observer et deux ans après, j'ai signé au centre de formation de Bordeaux. J'y suis entré à 16 ans et ensuite, j'ai fait deux ans avec la réserve où j'étais capitaine.
Vous êtes capitaine de la réserve à Bordeaux, vous portez aussi le brassard avec celle de Guingamp, qu'est-ce qui fait que ça ne passe pas à l'étage supérieur ?
Des problèmes d'attitudes. Je n'avais pas un mauvais comportement mais j'étais nonchalant tout simplement. Je pouvais être trop facile par moments et c'est le genre de choses que les coachs n'apprécient pas vraiment.
Quand vous voyez que vous êtes en Ligue 1, regrettez-vous cette attitude qui vous a fait perdre du temps ?
Honnêtement, je suis fier de mon parcours parce qu'il a été difficile. Parfois, j'ai quelques regrets mais pas tant que ça. Je me demande simplement ce qu'il se serait passé si j'avais plus sérieux mais on ne peut pas refaire l'histoire.
Est-ce que votre histoire personnelle vous a aidé à progresser et à vous battre pour un jour atteindre la Ligue 1 ?
Je n'ai jamais douté de mes qualités sur le terrain. Je savais qu'un jour, j'allais être professionnel mais c'est surtout mes parents que j'étais dégoûté de ne pas réussir plus tôt parce que eux croyaient vraiment en moi. Le fait de ne pas avoir réussi à Bordeaux ou à Guingamp, c'est comme si je les avais lâchées, car ils comptaient sur moi pour les soulager. C'est ça qui m'a fait le plus mal.
Quand vous signez à Clermont en 2018, est-ce que vous imaginiez que ce club irait en Ligue 1 ?
Partout où je vais, j'ai l'ambition que le club puisse monter. Même quand j'étais à Bourg-en-Bresse, je me disais qu'un jour, je voulais jouer en Ligue 1. Donc soit ça le fait avec le club dans lequel je suis, soit ailleurs grâce à mes performances. Et puis finalement, ça s'est fait avec Clermont. C'est l'un des plus beaux souvenirs de ma vie de footballeur.
"Mon plus grand rêve, c'est de jouer à Arsenal"
Peu après votre arrivée, il y a eu un changement de propriétaire à Clermont, qu'est-ce que cela a changé ?
Les choses ont changé évidemment. Il y a eu de nouvelles méthodes et la nouvelle direction est vraiment très présente. Ils sont arrivés avec de l'ambition et à court terme de faire les playoffs et après pourquoi pas de monter en L1 dans les années à venir. Quand un nouveau président arrive et te dit ça, forcément ça te stimule. Ils ont aussi mis les moyens en changeant les terrains mais aussi sur le suivi médical, les vidéos, les analyses et les statistiques.
Quand Clermont valide la montée, repensez-vous à ce parcours hors du commun que vous avez vécu avec votre famille ?
Quand la montée est validée, j'ai d'abord un ouf de soulagement. Je me dis « ça y est, enfin je vais découvrir la Ligue 1 ». J'en avais envie depuis longtemps et je savais que j'avais les capacités pour atteindre ce championnat. Et bien sûr ensuite, j'ai appelé mes parents en visioconférence pour vivre et partager cette nouvelle en direct avec eux pour qu'il puisse en profiter aussi. Parfois, on en reparle mais on essaie de ne pas trop s'attarder dessus parce que c'est un chapitre qui nous a fait mal. Maintenant, avec cette histoire de famille, je ne peux que rester les pieds sur terre parce que j'ai connu la galère et je ne peux pas fanfaronner parce que j'ai réussi. Je sais d'où je viens et que ça a été difficile pour avoir tout ça et je veux continuer à travailler pour rester en haut parce que ce n'est pas un aboutissement.
Où est-ce que vous aimeriez que ce chemin s'arrête ?
Mon plus grand rêve, c'est de jouer à Arsenal. Et une fois que je serai là, je pourrais dire : " ça y est, j'ai réalisé mon rêve ". Pourquoi ce club ? Parce que Thierry Henry. Même si ça va moins bien pour eux depuis quelques années, je reste supporter quand même.
En tant que latéral gauche, vous auriez dû vous retrouver pas très loin de Lionel Messi sur le terrain mais il ne devrait finalement pas être là samedi...
Franchement, je suis déçu qu'il ne joue pas. Quand tu es joueur, tu aspires à évoluer contre les meilleurs. Et là, il y avait une opportunité pour jouer face à ce joueur-là qui est l'un des meilleurs de tous les temps. C'est dans ce genre de match que l'on peut aussi se juger sur notre niveau et voir ce qu'il faut encore travailler pour atteindre le plus haut niveau.