A l’approche de l’Euro 2020, notre rédaction vous propose une série de rencontres avec les joueurs ayant disputé ce tournoi par le passé. Des lauréats de la compétition, des acteurs majeurs ou simplement des protagonistes ayant des histoires intéressantes à raconter. Premier épisode aujourd’hui avec Eder. L’attaquant portugais revient pour nous sur le tournoi 2016 en France. Celui qu’il a remporté en compagnie de ses coéquipiers et en se muant en héros lors de la finale.
C’était il y a déjà cinq ans. Mais, pour tout fan de la sélection portugaise ou celle de l’équipe de France, c’est comme si c’était hier. Le 10 juillet 2016, la Seleçao se hissait sur le toit du continent en remportant le premier Euro à 24 équipes, et elle l’a fait en prenant le dessus sur les Bleus de Didier Deschamps en finale (1-0 a.p.). Alors que les pronostics leurs étaient complètement défavorables, les Lusitaniens ont réussi l’incroyable pari de faire chuter le pays hôte chez lui et aller chercher le premier trophée majeur de leur histoire. Un exploit majuscule et dont le principal héros aurait pu être la star de l’équipe, Cristiano Ronaldo. Mais, et c’est le charme du football, ce rôle est finalement revenu à un élément que personne ne voyait endosser le costume du sauveur. Il s’agit d’Eder, le remplaçant décrié et dont la rentrée victorieuse lors de ce rendez-vous est la preuve que la chance ne sourit pas seulement qu’audacieux ou au plus talentueux, mais aussi à ceux qui s’accrochent, tiennent tête à l’adversité et croient fermement en leur étoile.
Combien y avait-il de chances pour que cette prestigieuse rencontre s’étire jusqu’en prolongation pour ensuite basculer côté portugais par la grâce d’un but venu d’un joueur remplaçant et qui n’avait disputé que 13 des 600 précédentes minutes de la compétition ? Un élément sur lequel Fernando Santos ne s’est guère appuyé entre le dernier match de poule et la demie. Difficile de quantifier cette probabilité. Alors, pour ne pas rester sans réponse, il est tentant de se tourner vers les bookmakers anglais, ceux qui misent sur absolument tout, pour avoir une idée du côté improbable de ce scénario. 14233/1, telle était la cote chez les parieurs concernant ce dénouement. Autant dire que l’entrée en jeu d’Eder, combinée à un but de sa part relève quelque chose de miraculeux. Mais, il n’y a pas de réciprocité entre miracle et coup de chance. Sa place dans les 23, l’attaquant originaire du Guinée-Bissau ne l’a pas volée. Et ce but, il est allé le chercher sans l’aide de personne et avec une rage propre à tout joueur en quête de rachat.
Sa place dans les 23 était fortement contestée
Pour comprendre, ce qui pouvait animer et nourrir la motivation d’Eder lors de cette fameuse soirée, il convient de revenir en arrière. Evoquer le contexte et relever les circonstances dans lesquelles il a attaqué la compétition. L’intéressé n’est pas de ceux qui s’attardent constamment sur le passé, et encore moins sur les passes compliquées, mais pour Goal il a bien voulu rembobiner le film et évoquer toute l’histoire, y compris l’avant-tournoi. « C’est vrai que c’était un peu délicat, parce que ma convocation a fait polémique, se souvient-il. Mais le groupe m’a toujours permis de me sentir bien, Fernando Santos m’a toujours montré de la confiance. Et je me sentais plutôt à l’aise ». Malgré une période de quatre ans et dix-sept premières sélections sans la moindre réalisation réussie, l’ancien joueur de Braga est donc parvenu, avec l’aide de ses coéquipiers et son coach, à chasser les mauvaises ondes et s’envoler pour la France avec un état d’esprit positif et conquérant.
Et ce qui a aussi aidé Eder à ne pas cogiter, c’est le fait de s’inscrire dans un projet collectif. Se retrouver au milieu d’une équipe, portée par une ambition commune : aller au bout. C’était osé de la part d’une sélection qui restait sur un échec cuisant à la Coupe du Monde 2014 (élimination au premier tour) et qui, en outre, n’a jamais réussi à triompher, même lorsque tout était réuni pour. Mais c’était bien le mot d’ordre et il n’était pas question de se contenter une nouvelle fois des places d’honneur. « C’est vrai que le Portugal n’avait pas beaucoup gagné dans son histoire. Mais, l’entraîneur, Fernando Santos, nous a toujours fait croire que c’était l’objectif, révèle Eder. Cela a été le cas dès le premier jour où il a pris la tête de la sélection nationale. Il a dit que notre priorité était de gagner. A partir de là, nous avons commencé à travailler, match après match, et finalement c’est arrivé. »
Quitte à être déçus et se rendre compte ensuite que les prétentions n’étaient pas conformes avec leurs réelles capacités, les Portugais ont donc visé haut. Et ce n’est pas le premier tour, traversé péniblement avec trois nuls enregistrés en trois matches et une qualification pour les huitièmes obtenue à l’arrache qui les a fait vaciller. Non, ils sont restés imperturbables. Eder en témoigne : « Bien sûr qu’il y a toujours des doutes quand on ne commence pas de la meilleure façon et nous ne jouions pas notre meilleur football. C’est clair qu’il y en avait, mais nous avons toujours cru en nos capacités. Mais notre sélectionneur nous a toujours dit qu’il croyait en nous et il nous a fait croire en nous. Après les matches de la phase de poules, nous avons tenté de penser à ceux qui suivent, l’un après l’autre. Et les choses se sont bien passées. Nous avons réussi à surmonter ça ».
Eder n’a jamais privilégié son intérêt au détriment de celui de l’équipe
Incapable de dominer l’Islande, l’Autriche et la Hongrie, le Portugal a ensuite surpris tout son monde en écartant la Croatie, l’un des grands favoris de la compétition, à l’occasion de son premier match à élimination directe. Un but de Ricardo Quaresma en prolongation a propulsé les Lusitaniens dans le Top 8. C’était un déclic, et il n’était pas dû au hasard. « La transformation (entre le premier et le second toujours) est due au groupe qui a toujours été uni. Ceux qui jouaient et ceux qui ne jouaient pas, nous avons toujours tout fait pour avoir un bon groupe, raconte l’ancien Lillois. L’entraîneur a été super important, le staff aussi nous a beaucoup soutenus. Cela nous a permis de nous concentrer sur ce que nous devions faire, en jouant bien ou moins bien. Nous savions que pour atteindre nos objectifs il fallait prendre les matches les uns après les autres et nous avons réussi. »
Parmi les éléments qui étaient justement appelés à rester dans l’ombre, soutenir les titulaires et ne surtout pas manifester leurs états d’âme il y avait donc Eder. Aligné d’entrée lors des trois matches du Mondial brésilien, il n’a cette fois bénéficié d’aucune titularisation. Pis, après de brèves apparitions en fin de rencontre en début de compétition, il s’est retrouvé totalement à l’écart. À sa place, beaucoup auraient pu lâcher, s’isoler ou même avoir une attitude négative, susceptible de polluer l’atmosphère générale. Mais pour lui, ça aurait été à l’encontre des principes et des vertus qu’on lui a inculqués : « Tous les joueurs veulent jouer, quand nous sommes aptes nous voulons jouer. C’était mon cas aussi. Mais comme je l’ai dit le groupe était très uni. Les joueurs qui jouaient étaient bien, nous avions de grandes individualités. Nous savons que c’était nécessaire de se comporter ainsi pour gagner les matches et continuer la compétition. Personnellement, je savais que je devais attendre ma chance, bien travailler et si l’opportunité arrivait alors tant mieux, sinon j’étais là, à m’entraîner de la meilleure des manières pour aider si j’étais appelé. » Un discours admirable et que tout entraineur apprécierait d’entendre de la part des remplaçants.
Après avoir dominé difficilement la Pologne en quarts de finale (0-0 a.p.t.b. 6-4), puis écarté logiquement le Pays de Galles en demi-finale (2-0), la Seleçao s’est présentée en finale. Sa deuxième seulement en grande compétition après celle jouée à domicile contre la Grèce en 2004 (0-1). Il ne restait plus qu’un obstacle à franchir, mais il était de taille puisqu’il s’agissait de la France, le pays organisateur et équipe portée par un impressionnant élan. Il y avait de quoi avoir une appréhension, voire un doute par rapport aux chances de pouvoir finir le travail et mettre fin à de longues années d’insuccès. Curieusement, il n’y en avait pourtant rien de tout cela. Eder : « La vérité c’est que notre sélectionneur nous a toujours dit qu’il s’en irait seulement le 10 juillet et avec le trophée. Cela a été une surprise pour beaucoup mais il nous l’a vraiment dit. Et vu la manière dont nous étions arrivés jusque-là, et du fait que nous étions en finale, nous pensions que ce serait notre jour. Il y avait en face une équipe de France très forte, avec beaucoup de qualité, mais nous savions que nous avions notre chance. Tous les joueurs y ont cru. »
Un but qui a sacré le Portugal et changé sa vie
Tous les joueurs, y compris notre témoin. Et l’opportunité de prouver sa valeur et aider son pays, celle dont il rêvait tant secrètement, a fini par se présenter. On jouait la 80e minute de cette rencontre. Le score était de 0-0 et la Seleçao, qui évoluait depuis déjà plus d’une heure sans sa star Cristiano Ronaldo (blessée et sortie en larmes), voyait Renato Sanches contracter à son tour un problème physique. Fernando Santos s’est alors tourné vers son numéro 9 pour le lancer dans le grand bain. Etait-ce pour utiliser ses qualités du joueur d’appui, capable de faire remonter le bloc à un moment où l’équipe était sérieusement acculée ou simplement parce qu’il croyait en la capacité de son joueur à faire basculer le sort du match ? Toujours est-il que ce dernier a saisi la perche qui lui était tendue, pénétrant la pelouse avec la volonté farouche de délivrer les siens. « J’étais totalement motivé. C’était une finale et tous les joueurs veulent jouer une finale. Quand il (Fernando Santos) m’a appelé, j’ai eu une conversation avec lui. Il m’a donné ses indications et je lui ai dit que bien sûr j’allais marquer. C’était le feeling que j’avais. Et c’est ce qui s’est produit ».
Effectivement, vingt-sept minutes plus tard, le pressentiment du natif de Bissau s’est vérifié. Sur une action presque anodine, après une passe de Joao Moutinho et ne voyant aucune solution collective à proximité, il s’est mis dans le sens du jeu et avec l’objectif de s’avancer le plus possible et s’ouvrir le chemin de la cage française. Laurent Koscielny est venu le stopper, mais il a résisté à sa charge. Ensuite, et alors qu’il se trouvait à 20 mètres des buts, il a décoché une frappe à ras de terre aussi soudaine que puissante. Légèrement décroisée, celle-ci a fini par surprendre tout le monde, y compris Hugo Lloris, trop lent à se coucher. Une action pour l’éternité et dont l’intéressé se souvient toujours en détails : « Ça a été instinctif. C’est arrivé après une séquence où il y a eu des efforts de plusieurs collègues. Je reçois le ballon, et je me suis alors juste dit que je vais aller vers le but et frapper. L’opportunité s’est présentée, j’ai réussi à le faire et j’étais très heureux d’avoir marqué et d’avoir été décisif ».
Autant elle a provoqué chez les Français une véritable sinistrose, autant chez les Portugais cette réalisation a été synonyme de bonheur absolu. Les treize dernières minutes du match s’étant écoulées sans rebondissement, c’est même devenu le but le plus important de l’histoire de ce pays. Eder en a été l’auteur, et aujourd’hui encore il ressent une « immense fierté » rien que d’en parler : « Bien sûr. Une fierté, pour moi et pour mes collègues, parce que tout le monde y a participé. Les joueurs, l’entraîneur, le staff, tout le monde nous a soutenus. Cela a été un moment inoubliable. Cela a été une fierté immense pour moi de marquer ce but. C’est quelque chose d’inoubliable. Et je vais m’en souvenir jusqu’à la fin de ma vie ».
Il a triomphé du mauvais sort et est prêt à le faire de nouveau
Les sentiments évoqués sont légitimes. Ils l’auraient été de la part d’un joueur star, indiscutable au sein d’une équipe et habitué à mener les siens vers la gloire. Ils le sont à plus forte raison de la part d’un attaquant cantonné au banc, souvent critiqué et qui n’a pas pu répondre aux attentes lors de ses précédentes apparitions sous le maillot national. C’est pourquoi Eder ne pouvait feindre sa joie, de même que la sensation d’avoir enfin vaincu le mauvais sort. « Oui, c’était une sorte de revanche car à ce moment-là il se passait beaucoup de choses dans ma carrière, nous a-t-il avoué. Des blessures notamment. Je n’étais pas si bien physiquement et psychologiquement. Les choses se sont ensuite améliorées et je suis heureux d’avoir fait partie de cette histoire». Forcément, dans son parcours, et même dans sa vie en général, il y a eu un avant et un après ce 10 juillet 2016. « Oui, c’est incontestable, acquiesce Eder. Que ce soit pour moi ou mes coéquipiers, c’est normal. Nous avons été champions d’Europe. C’est un titre qui restera pour toujours dans l’histoire. Le premier grand titre du Portugal. C’est quelque chose qui nous marque tous. On est abordés par les personnes dans la rue et qui nous donnent de l’affection, et c’est normal. Bien évidemment qu’il y a un avant et un après. »
L’après n’est cependant pas tout rose. Car le football est un éternel recommencement et Eder a depuis perdu sa place en sélection, faute de régularité en club. Son statut d’icône nationale ne lui a assuré aucun passe-droit et sa mise à l’écart pendant presque deux ans en est la preuve. Mais, il en faut désormais beaucoup plus pour l’amener à baisser les bras. « Je continue à travailler tous les jours pour pouvoir être dans les meilleures conditions, avoir de bons résultats, et si le sélectionneur pense que je peux apporter et être sélectionné, alors je serais à sa disposition. Je continue à travailler au mieux pour être un joueur sélectionnable », assure-t-il. A 33 ans, et malgré son fait d’arme, Eder doit donc encore prouver et mériter sa place dans le groupe portugais. À ce titre, échangerait-il son coup d’éclat de Saint-Denis contre un parcours moins tortueux sur la scène internationale, sachant que sur les 35 capes qu’il a honorées, neuf seulement ont été dans la peau d’un titulaire ? Sa réponse : « Non ! L’histoire est comme elle est. Chacun a son destin, indique-t-il avec beaucoup de recul. Les choses se sont passées comme elles se sont passées. Je suis très heureux de faire partie de l’histoire. Cela ne vaut pas la peine de penser à la modifier. Je veux continuer à travailler et si je suis appelé de nouveau, je serais très content. »
De son parcours, Eder n’effacerait donc rien. Pas même les quelques mois compliqués qu’il a vécus à Lille à la suite du championnat d’Europe victorieux. En Ligue 1, quand il se produisait à l’extérieur, il était sifflé pour avoir privé les Bleus d’un couronnement. Et quand c’était à domicile, le public des Dogues le huait car ses prestations ne concordaient pas avec son nouveau statut. « Je ne pense pas que c’était un mauvais choix de retourner à Lille. De toute façon, j’avais un accord avec le LOSC et j’avais envie de penser que je serais reçu d’une autre manière parce que ce n’est que du football, je n’ai fait de mal à personne. Je pensais que les personnes auraient réagi d’une autre manière, mais bon ensuite il y a eu une phase compliquée en termes de résultat pour toute l’équipe. Le rendement collectif n’a pas été à la hauteur. Moi, je suis revenu tôt, je n’ai pas eu de vacances, et ça a eu des conséquences. Mais je ne pense pas que ça a été une mauvaise décision, ça a été une période d’apprentissage et cela m’a rendu plus fort ». Une épreuve délicate de plus et qu’il a donc su parfaitement surmonter. Et puis, après tout ce qu’il a enduré et ayant mesuré lui-même les bienfaits de la persévérance face aux vents contraires, il n’y avait absolument aucune chance pour qu’il se laisse décourager par les piques et railleries extérieures. Surtout celles qui ne répondaient à aucune logique. Eder a donc su s’en remettre et il n'est pas impossible que dans le futur il soit encore là pour faire étalage de son admirable résilience et mener la Seleçao vers un autre triomphe. Mais, cette fois il ne s’agira pas d’un miracle.
Interview réalisée par Sébastien Martins, texte de Naïm Beneddra